Le monde de Juju

23 juin 2006

Un oeil sur ma planète

L’été faisant, la Juju se déshydrate. Petit animal citadin aux réserves corporelles d’eau limitées, la Juju se doit au début des grosses chaleurs d’augmenter sa consommation quotidienne de liquide. Adepte du coca light, elle doit alors les acheter par packs (plus lourds que ses habituelles canettes mais d’une contenance bien plus pratique). Ne pouvant trouver ces packs dans sa réserve naturelle (alias l’épicerie du coin), la Juju doit alors se rendre dans des contrées bien plus vastes et bien plus hostiles : l’hyper géant méga supermarché.

Accompagnée de son acolyte le Grosbisou (petit animal câlin à la communication riche et à la compagnie agréable, bien que dénué de tout langage verbal), la Juju se déplace seule, trop peu sociable pour adopter la notion de meute.

Arrivée à l’oasis commercial, la Juju se pare d’une poche métallique sur roulette, car naturellement non dotée d’un rangement corporel ergonomique. Elle y cale le Grosbisou dans un espace prévu à cet effet et se dirige d’un air méfiant vers l’oasis rafraîchissant. Agressée par la climatisation ambiante, la Juju renfrogne sa truffe, plisse ses paupières et se hâte vers les barrières métalliques destinées à réguler les entrées et à vérifier si les espèces attirées présentent une menace quelconque pour les proies peu vigilantes.

Après s’être arrêtée devant toutes les têtes de gondole jaune fluorisées, la Juju parvient enfin au rayon souhaité. De son regard averti, elle repère les packs argentés destinés à attirer l’œil de la femelle. Elle s’avance doucement afin de ne pas montrer son intérêt certain et attirer la convoitise des amatrices tapies derrière leurs chariots de métal.

La Juju saisit la bride plastifiée d’un pack, alors même qu’une femelle de la même espèce, qui se différencie d’elle par sa toison sombre, s’empare elle aussi de la poignée. Les bêtes se toisent, se fixent et se défient. Les pupilles se dilatent, les dents se découvrent. Eblouie par la bouche glossée de la Juju, Toison Brune se retire, tête baissée et lèvre retroussée.

D’un air vainqueur mais méfiant, la Juju se saisit rapidement du pack, le cale dans sa remorque ternie et file vers le point de troc. Contre quelques pièces rondes grappillées ci et là, la Juju peut repartir avec le nectar convoité. C’est un soulagement pour cet être solitaire et assoiffé. En sécurité, tapis dans leur antre, la Juju et le Grosbisou pourront enfin se délecter du liquide pétillant acquis après bien des désagréments et des dangers, au sein d’une nature hostile à ses propres habitants.

Les aléas de la vie de ce petit être étrange en voie de disparition ne cesseront de nous étonner. Voilà encore bien des mystères que la vie animale nous réserve, et que nous ne saurions banaliser…

20 juin 2006

A ces âmes, ouvre-toi

Il y a des fois dans la vie où t'aimes pas ce qui se passe. Toi tu es jeune et tu penses que tu as le temps. Et puis un jour on te met une claque et ça te réveille. Et tu as mal.

On t'avait dit "les gens ne sont pas éternels". Et tu le savais. Mais pas assez. Y a des gens pour lesquels tu te dis que ça n'est pas possible, y a une dérogation. Parce que toi, sans eux, t'as l'impression de ne plus exister. Et pourtant ils partent. Et tu as si mal que tu en veux à tout le monde. Tu leur en veux aussi. Pourtant c'est pas leur faute et ça aussi tu le sais. Mais tu ne crois plus en tout ce que tu croyais savoir.

Alors tu te dis que peut-être ils ont rejoint le pays des arc-en-ciel, et que les bisounours les chériront autant que toi tu aurais voulu le faire. Mais tu avais le temps. Et quand tu vois Grosbisou recroquevillé, en boule dans un coin, les yeux qui pleurent en dedans, sans larmes, et le ventre qui ne ronronne plus, tu sais qu'il sait. Les bisounours ne les accueilleront pas.

Alors déjà tu te dis que c'est pas possible. C'est pas faisable. Y a une caméra quelque part et quand tu auras bien eu peur, tout le monde sortira de sa cachette et rira, applaudira et te chariera. Alors tu attends sur ton lit, en montrant bien sur ton visage que tu as peur. Mais personne ne sort des coins sombres. Et là tu as vraiment très peur. Tu es seul.

Tu repenses à leurs traits, à leur parfum et à leur voix. Y a des choses dont tu te souviens pas et tu trouves ça domamge. Tu écris sur un bout de papier tout ce que tu aurais aimé leur dire. Mais tu avais le temps. Et plus la liste s'allonge, plus tes yeux te brûlent. Alors tu déchires la liste et tu pleures en faisant du bruit. Tu veux qu'ils voient qu'ils te font mal. Et tu es fatigué, tu te sens vide et tu ne pleures plus. Tes yeux sont rouges, ton visage bouffi mais tu t'en fiches. Parce qu'ils ne sont pas là pour le voir.

Tu essaies d'imaginer la vie sans eux, tu as l'impression de grandir trop vite. Tu pensais avoir le temps. Tes épaules te font mal et ton coeur cogne fort. Ton corps veut te prouver que lui, il est vivant. Et ça te fait encore plus mal. Et même si tu as envie de tout foutre en l'air, tu sais au fond que tu peux pas. Y a des gens qui comptent sur toi. Et Grosbisou qui a besoin de tes bras.

Alors tu le ramasses et le poses contre ton ventre, là où avant c'était tout chaud. Et tu le berces. Et tu te berces. Tu lui dis que tout ira bien, qu'il y a encore beaucoup de personnes qui l'aiment et qu'il n'est pas seul. Et tu aimerais croire ce que tu dis. Parce que ta tête, elle ne l'entend pas.

Et tu sais que toi aussi un jour tu feras du mal à ceux qui t'aiment. Mais t'as pas le choix. Et ça aussi ça te fait mal. Et à un moment tu as tellement mal que tu ne pleures plus, que la boule dans ta poitrine diminue et tes mâchoires se desserrent. Ton corps est lourd et te fait mal. Mais tu vas te lever et recommencer ta vie. D'abord tout doucement, amèrement, en culpabilisant. Et les jours passent, ta douleur est sourde et latente, mais elle ne t'entrave plus autant. Ce n'est plus comme avant. Mais tu continues.

Et tu sais qu'un jour tu auras la force de penser à eux sans être triste. Tu auras sur le visage un sourire nostalgique, et tu raconteras à tes enfants leurs traits, leur parfum, leur voix. Et ton ventre sera chaud. Et tu auras toujours une pensée pour eux, pour les faire vivre encore un peu. Et tu aimeras ça.

19 juin 2006

La chair de pool

Depuis quelques jours, mon appartement est devenu un vrai sauna. Au départ je n'y voyais pas vraiment d'inconvénients, c'est bon pour la peau, les formes et le moral. Mais lorsque Grosbisou a commencé à sentir le corned beef, je me suis inquiétée. Direction : la piscine.


Après tout, se balader à moitié nue devant des inconnus, boire de l'eau chlorée et chopper des verrues, c'est pas si grave que ça... arf. Vivement que je trouve un Prince riche pour en avoir une à moi (et éventuellement à Prince s'il est sympa). J'embarque mon maillot, ma trousse de toilette, ma serviette Bart Simpson et un caleçon pour Grosbisou. C'est parti.

En arrivant dans les vestiaires, je suis déjà bien dégoûtée par les flop flop de mes converses sur le sol mouillé. De vieux souvenirs se rappellent à ma mémoire : la corvée piscine du vendredi matin lorsque j'étais en primaire. Je me déshabille rapidement, enfile mon maillot rouge façon Pamela, prends Grosbisou dans mes bras et file sous la douche. Grosbisou couvre ses yeux de ses pattes dodues et frissonne sous l'eau. Je le sers plus fort contre moi, le secouant un peu, et me dirige vers la piscine. Premier obstacle : le bassin de trempage de pieds (ambiance Les dents de la mer).

J'enjambe tant bien que mal la pataugeoire bactérisée et longe le grand bassin, l'ours calé contre l'épaule. Le carrelage granulé (supposé nous empêcher de tomber et je le confirme : cela ne fonctionne pas du tout) me fait longer la piscine et me conduit dans le coin des transats, pour les greluches comme moi ne raffolant pas de la stagnation de l'eau chlorée sur le sol. J'installe Grosbisou à mes côtés, étends ma serviette sur mon siège et m'installe. Ca, c'est fait.

Partout autour des gamins crient, chahutent, s'éclaboussent, se coulent. Des bandes d'ados sont flanquées dans les tribunes, regardant ci et là les nanas qui passent, ponctuant les allées et venues de moues boudeuse, enjouées, voire excitées. Plus loin, une mamie avec un bonnet à fleurs en relief est allongée sur un banc, le ventre collé à la paroi de plastique, et s'entraîne au crawl. C'est particulièrement flatteur.

Grosbisou me tapote sur le bras, et désigne la paroi vitrée au-dessus de nous. Il doit craindre pour ma peau. Ai-je vraiment l'air de celles qui prennent des coups de soleil?... Bon je vous l'accorde, ma peau d'aspirine ponctuée de grains de beauté et de tâches de rousseur semble faire croire que je suis incapable de bronzer... Pourtant après 3 semaines à la plage, à raison d'une exposition d'environ 12 heures par jour, je finis par avoir un léger hâle tout à fait seyant. Si si, j'vous l'dis.

L'air inquiet de Grosbisou me culpabilise quand même, et je sors mon arme fatale : l'écran total. Seule crème me permettant de paraître encore plus blanche. Oh joie! Je m'en tartine allégrement, ferme les yeux, et affiche mon statut "occupé(e)" quelques minutes. Plénitude.

Mais je sens bien vite les coussinets de Grosbisou gratouiller mon avant bras. Il regarde d'un air miséreux le toboggan, ses grands yeux tendres faisant fondre mes réticences. Je le prends par les aisselles, le cale contre moi et me dirige vers la file d'attente. Vingt minutes passées le nez dans les fesses de la personnes précédente, respirant l'air vicié des foules humides, n'osant me tenir à la rampe engluée.

Après avoir énuméré 15 fois les puissances de 7 jusqu'à 823543, j'aperçois enfin la fin du tunnel : la stalle d'assise qui me permet d'espérer la naissance du toboggan. Je m'assois, allonge bien mes jambes, pose Grosbisou contre mon ventre et me laisse glisser dans le tube transparent. L'écran total aidant, je me sens comme une anguille dans les mains de Maïté : je fuis la gravité. Le corps huilé, je pars dans tous les sens, me voilà sur le ventre, puis tête en avant, les pieds au niveau du cou ou en position du lotus. C'est un joli n'importe quoi dont tous les pataugeurs se délectent. J'entends Grosbisou ronronner, il a l'air de s'amuser comme un fou. Après de nombreux virages (au moins 7 puissance 4) j'atterris lourdement dans l'eau, d'un plat du ventre absolument magistral. Je reprends rapidement mes esprits, m'empresse de remonter à la surface et me dirige d'une nage de bébé chien vers le bord ondulant de la piscine.

Je vois à quelques mètres de là Grosbisou faisant la planche, un sourire aux lèvres. Je l'attrape par la patte, le dépose sur le carrelage, cale mon genou dans la rigole ajournée et grimpe sur le sol d'une façon tellement moi, tellement... disgracieuse. Tout autour les gens me regardent, les enfants ne jouent plus et me dévisagent, comblés de drôlerie. Je récupère l'ourson et regagne d'un pas pressé mon transat. Un conseil : ne soyez jamais pressés au bord d'une piscine. Après un élégant vol plané qui m'a semblé se dérouler au ralenti, je me suis étalée comme une grosse pieuvre sur le sol. Bruit sourd. La fesse droite totalement anesthésiée, je rejoins à quatre pattes mon siège, traînant Grosbisou comme une serpillière molle.

Je récupère rapidement mes affaires, regagne mes pénates, dépose Grosbisou sur le banc du vestiaire. Il me regarde d'un air triste et pointe ma fesse. Elle est violette-noire-jaune-verte-rouge. Quel talent artistique! Je lui fais un sourire rassurant, me rhabille prestement, range mes affaires et me dirige vers les miroirs afin de me remaquiller un peu. Assis à côté du robinet, Grosbisou me fixe d'un air étrange. Un coup d'oeil dans le miroir m'aura suffit à comprendre : le chlore a rendu mes mèches blondes vertes. Mais carrément vert fluo. Ouhlaaaa. Découragée par cette vision, je ne tente même pas de me repeindre le visage. "T'inquiète Grosbisou, comme ça c'est assorti à ma fesse". Il sourit. Et tout ça semble moins important.

Cette nuit là j'ai vraiment bien dormi, shootée par le chlore et fatiguée par mes démonstrations catastrophiques (et hélas habituelles). Grosbisou ronfle à mes côtés, apaisé et serein. J'en oublierais presque mes péripéties de l'après-midi. Aïe! Sauf quand je me retourne dans mon lit évidemment...

10 juin 2006

Love and marriage

L'été n'est pas que synonyme de soleil, plage et farniente. C'est également la période (tant redoutée) des mariages. Et en bonne célibataire convaincue que je suis, je suis toujours invitée. Comblement des tables impaires, envie de me caser ou de me dégouter? J'ai un doute.

Tout d'abord, cela signifie bloquer tous mes week-ends pour aller féliciter des amis déjà baignant dans le bonheur. Quelle utilité?... M'enfin, puisque personne n'est dupe de mon soi-disant timing overbooké, je me dois d'être là. C'est tellement "indispensaaaaaaaaaaaaable ma chérie, tu t'amuseras!". C'te blague.

Après m'être ruinée dans le cadeau et dans une tenue ressemblant vaguement à quelque chose, je termine le chef d'oeuvre en me cramant littéralement une mèche de cheveux, celle bien près du visage et qui me donne l'air d'un épouvantail. Avec du gel extra strong j'essaie tant bien que mal de la rabattre disrètement, et c'est à l'aide d'une dizaine de pinces à cheveux que je réussis tant bien que mal a dissimuler les frisottis brûlés.

Evidemment, erreur fatale, je suis arrivée non accompagnée. Tous mes amis sont en couples assortis (force bleue, force rouge, force rose, force jaune). Je suis le monstre qui a envie de donner un coup de pied dans tous ces couples bien pensants. Panique sur Tokyo.

Avec mon joli sourire de façade, j'embrasse tout le monde avec engouement. "Ben alors Juju, t'es venue seule? Bah tu sais ce qu'on dit, on peut faire de belles rencontres à un mariage!!". Clin d'oeil complice. Bwof. Pourquoi ai-je la soudaine envie de me pendre avec le bolduc qui entoure le cadeau?...

Après une demi-heure de soumission à des monologues sur le thème universel de je-suis-en-couple-comme-la-vie-est-belle, le futur marié vient me bisouter rapidement. C'est le seul du troupeau à sembler aussi perdu que moi. Juste le temps d'un rapide regard d'encouragement, et je pivote vers la voiture grimée de dentelle Tati et ballons Mc Do' : la mariée arrive.

Ma copine m'avait bassinée pendant des heuuuuures sur le choix de la robe et je crois qu'au lieu d'en parler, elle aurait mieux fait d'en essayer. La voilà ficelée dans un corset de satin, ses jambes masquées par une choucroute diaphane. Trop maquillée, chignonnée et dénaturalisée, elle piétine vers moi, m'embrasse de façon émouvante et me sort : "C'est gentil d'être venue, même si t'es seule." Grande inspiration, toujours sourire. "Elle est superbe ta robe, et ça te met en valeuuuuuur!!!". Oui désolée, mais je me voyais mal lui lancer mollement "bof, j'aime pas les meringues, ca colle aux dents. Après tout, à journée spéciale, dérogation spéciale.

Après un court passage à la mairie, nous nous dirigeons tous vers le pot. Non non je ne parle pas là de la mariée (mauvaises langues que vous êtes), mais de la réunion autour d'un bon verre de gens qui se connaissent, ou pas, et qui sont contents d'être là, ou pas. J'essaie de me caler dans un coin discret, entre les mini bretzels et le créman. Je devrais me réincarner en papier-peint.

Tradition oblige, je danse avec un groupe de mamies et les célibataires bouche-trous. Avec la géniale idée que j'ai eue de mettre des talons, je les dépasse tous d'une demi-tête, ce qui me vaut quelques regards mi-faussement-désinteressés, mi-alléchés. Estimant ma b-a de l'année effectuée, je me recale dans mon coin fétiche, me fais servir un bon verre (jamais plus haut que le bord me dira en riant un quinca moustachu qui se prend déjà pour mon meilleur ami) et décide de comater un peu, la chaleur et la profusion de bons sentiments me soulant plus que le créman.

Je ferme les yeux et me coupe du monde quelques minutes. Jusqu'à ce que mon ami José Bové me secoue violemment et me dise "Miss, t'as une araignée dans les ch'veux". Je m'affole comme une dingue, encore à moitié dans le coton, jusqu'à ce que je me rende compte que c'était une bonne blague de mon ami. Haha. Je ris. Aussi jaune que ses dents. Résultat des courses, ma robe est recouverte de créman. Comme d'hab!! il est rare qu'en fin de journée mes vêtements ne soient pas tachés (esprits mal tournée, bonsoir). Qu'aurait fait Mac Gyver, s'il était à ce mariage, une robe embaumant l'alcool de supermarché (oui je sais, c'est difficile à visualiser, mais un effort voyons!) ? Je pique quelques orchidées dans un bouquet, vole une pince fixant la nappe, et me designe une broche sur mesure. C'est loin d'être classe, mais au vu des tenues des uns et des autres, je passe totalement inaperçu.

Je vous passerai les jeux débiles auxquels toute l'assemblée se soumet, les mères poules qui tentent désespérément de me caser avec leur Tanguy de 34 ans et les ados soulés au ponch qui me matent de travers. A la première mesure du Petit bonhomme en mousse je me décompose littéralement et fonce vers la sortie. Il faut que je m'en sorte. Tel Garraty, chaque mètre est une victoire, la délivrance est proche. Arrivée dehors, j'inspire profondément l'air frais et me détend, enfin. Quelle galère. Et ça n'est que le premier d'une longue liste. Fait chier Meetic.

Et alors que je suis accroupie par terre, empestant l'alcool soldé, une mèche brûlée jouant les rebelles et l'air hagard, un jeune homme en costume trois pièces se penche vers moi, me sourit et me demande si ça va. Je me relève. Il me dépasse. Je souris timidement. Il me répond. Il doit me croire complètement bourrée. Mais comme dirait le philosophe Duss : Sur un malentendu, ça peut marcher. Et en cette seconde, je ne trouve meilleur leitmotiv. Il me confie qu'il est venu assister seul au mariage et que, trouvant ça un peu glauque finalement, il compte rentrer. Si j'ai besoin d'être raccompagnée? Ca serait gentil, merci. Et me voilà embarquée, sauvée, ressuscitée.

Après quinze minutes d'une discussion tout à fait charmante, me voilà arrivée devant chez moi. Je hais les autoroutes. Pseudo-Prince me dépose et après de banals "bonne nuit, peut-être à bientôt, oui oui ça ira, c'est juste là, merci au revoir", je vois l'engin de l'Homme s'éloigner. Et le silence.

Pffffffff. Un gentleman! Je croyais que ça n'existait plus! Je suis dé-gou-tée. Je serais prête à parier que sous peu, sa figurine sucrée trônera sur un haut gâteau. Enfin, tant qu'il ne m'invite pas ...




Les vieux qui s'bécotent sur les bancs publiques


Le soleil est de retour, donc ma bonne humeur officielle aussi. Chic chic. Décidée à me la jouer totalement citadine, je passe me chercher une salade composée et emmène mon sourire et ma boîte végétale dans le parc situé à deux pas de là.

Je me trouve rapidement un banc dans un coin tranquille, baigné par la pénombre d'un arbre - on va dire un chêne, je ne sais reconnaître que celui là. J'époussette le banc, m'assieds avec ma délicattesse habituelle (no comment pour ceux qui me connaissent) et commence à manger. Je me sens comme SJP à Central Park. Koule.

Face à moi, un couple de personnes âgées, amoureusement accollées l'une à l'autre, se regarde d'un air tendre. Leurs mains râpeuses et scupltées par les années s'enlacent, s'emmêlent et se serrent. Ils se regardent, sans rien se dire, d'un regard qui sait. Je laisse ma fourchette en plastique en suspend, et les observe longuement.

Ils sont littéralement absorbés par la tendresse qu'ils se portent. Elle caresse doucement le visage de son époux, un visage qu'elle connaît par coeur, et s'émeut encore de ses traits. Il a la même expressioon que moi devant un pot d'Haagen Dazs à la vanille. Il effleure délicatement le couvercle protecteur, admire les reflets voluptueux de sa gourmandise et apprécie chaque seconde qu'il passe à attendre son onctuosité. Il l'aime. Et c'est beau à regarder.

Ils se sourient quelques secondes. Je souris aussi. Et d'un seul coup je me sens extrêment seule, je me rafraîchis sous l'air tiède et me dépite du soleil. Et ce n'est pas de la jalousie qui m'envahit à ce moment précis. Mais une tristesse, prenante, longue et douceâtre. Comme si Platon jouait les projectionnistes d'un film intitulé "Haha, regarde ce que tu ne seras jamais". Je n'ai plus très faim.

Je repose bêtement ma fourchette saladée et je baisse les yeux, dégoutée par ce mauvais scénar'. Je récupère mes jambes et me dandine pour me retrouver en tailleur sur le banc. Je sors un bouquin de mon sac et me met à lire. Enfin, à essayer d'arrêter de réfléchir un peu et me concentrer sur autre chose.

Après une demi-heure de tentative de fuite, j'appuie sur "play" et reprends le visionnage du film. Le vieux couple s'embrasse chastement et doucement. Pffffff. Et dire que je cotise pour ça! Puis lentement l'amoureux se recule et lance à sa douce "Il va falloir que je file, sinon ma femme va m'incendier!". La dame sourit d'un air complice et entendu, puis l'aide à remettre sa veste, amoureusement.

Je suis scotchée. Des pécheurs!! Diantre. Je m'attendais à tout, sauf à ça. Et je commence à rire toute seule. Délivrance salvatrice. Le petit vieux s'éclipse en trottinant, l'air bonhomme, et son amante se presse vers une autre sortie du parc. C'était donc ça. Un mirage.

Minuit avait sonné, l'enchantement s'était volatilisé, retour au quotidien. Pour moi aussi d'ailleurs, qui décide de rentrer d'un pas joyeux chez moi. C'était sans compter sur mes jambes engourdies qui elles non plus ne me furent pas fidèles (quelle idée aussi de vouloir jouer les filles souples!). Je me suis donc lamentablement étalée au pied du banc, évitant de justesse de me cogner le front sur la fiente de pigeon trônant sur le coin effrité.

Maculée de sauce vinaigrette huile d'olive-basilic, je rejoins donc mes quartiers, un peu moins fièrement. En chemin je croise un enfant qui regarde mon tee-shirt d'un air dubitatif et montre du doigt la tâche qui me sert de logo.

M'en fiche, quand je serai vieille, j'aurai un amant. Y a pu qu'à attendre.

Y a pu qu'à ...

03 juin 2006

A vot' santé m'sieur dames

Ne me demandez pas pourquoi, mais il s'avère que pour pouvoir passer mes examens de fin d'année, mes vaccins doivent être à jour. Peut-être craignent-ils que je ne m'ouvre la jugulaire en me prenant les pieds dans la prise du rétroprojecteur lors de la soutenance. Ca serait ballot.

Me voilà donc, alors que j'ai tellement mieux à faire (si si) dans la salle d'attente de mon médecin. C'est un praticien très appliqué qui réserve à chacun de ses patients une écoute et un accueil particuliers. En d'autres mots, comptez 45 min par tête. Je trouve dans un coin une petite chaise à trois pieds et y pose mes fesses récalcitrantes. Me voilà dans l'univers de la salle d'attente.

Dans le coin opposé, une mamie squelettique s'est endormie. Elle ronfle de bon coeur, et le rythme ronronnant de ses attractions nasales est ponctué par les ploc ploc de la bulle qui éclate au coin de ses lèvres à chaque expiration. Musique d'ambiance.

Un enfant d'environ 5 ans la regarde comme hypnotisé, et tire la manche de sa maman pour attirer son attention sur la vie salivaire bouillonnante de Tatie Danielle. Evidemment sa mère s'en fiche royalement et dévore l'étude comparative sur les crèmes décolorantes pour moustaches de Marie-Claire. Son visage est emprunt d'un concentration impressionnante, on dirait Pivot dévorant les écrits des gamins de La Guerre des boutons. Lassé par le manque d'attention, le fils de la moustachue fabrique consciencieusement des boulettes de crottes de nez qu'il colle plus ou moins discrètement sur le revers du rideau.

Je sens que l'attente va être longue.

A côté de moi, un homme très imposant, difficilement calé sur son siège, ne cesse de tousser et d'émettre toutes sortes de bruits que je n'arrive pas à distinguer : glaires gutturaux, mucus épaissis, bouillonements de gargarisme, bref une symphonie en beurk qui ne me donne qu'une envie : l'inviter à passer devant les autres. Il se tourne vers moi, ou plutôt pivote tant bien que mal sur son axe. Le visage rubicond, le sébum abondant, il me lance un large sourire édenté, et d'une haleine mémorable (il doit se rincer la bouche au jus de chat, je ne vois pas d'autre explication) me lance un tonitruant : " Ca fait déjà 2 heures que je suis làààààààààà". Ne pas respirer. Ne pas respirer.
...
...
...
Je n'ai jamais été très bonne en apnée. Je lui réponds d'un sourire crispé sans aucune signification, me lève doucement et glisse vers la fenêtre. Je tire le rideau (je le regrette déjà) et ouvre la fenêtre à demi. De l'air.

Le temps de me rasseoir sur ma chaise branlante, le jambon bronchité a trouvé une nouvelle victime, un jeune à sa droite dont le visage se décompose au fur et à mesure du monologue parfumé. Et pour la première fois de ma vie, je prie. Je prie fort pour lui.

J'hésite à prendre un magazine. Peut-être suis-je parano mais je ne bouquine jamais de revues chez les médecins, dermatos et autres praticiens. Vieux de 3 ans, ce sont des ramasse-microbes qui permettent juste aux médecins d'assurer une continuité de clientèle. Vous venez vous faire soigner et en patientant vous choppez je ne sais quel microbe qui mettra 15 jours à se déclarer. C'est un roulement si évident que personne n'y prête attention. Je pense même que dans le cursus d'études médicales, les étudiants suivent des cours pour apprendre à déterminer quels sont les papiers de journaux les plus poreux, et donc les plus rentables pour eux (on retrouve toujours les mêmes magazines... je ne fais que constater). Je ne suis pas dupe.

Confortée dans mon idée en voyant la quinca d'en face lécher amoureusement son index à chaque tournage de page, je me cale au fond de ma chaise. J'envie la mamie qui s'est endormie. La femme à barbe d'en face se lève, me baragouine une vague protestation et referme la fenêtre sèchement. Elle doit avoir peur que son fils, sculpteur sur morve, ne prenne froid. Pourtant, ça lui permettrait de revenir dans 2 semaines et de terminer l'article qui semble la happer : Comment s'épiler avec les restes de cire de bougies de l'anniv' du dernier. Comprenant l'aversion de sa mère pour la pilosité, le petit s'en va chercher un Picsou microbé. Pour sûr, ils reviendront sous peu.

J'entends des murmures derrière la porte. Le médecin reconduit une patiente à la porte. Et de un. Tel un animal aux aguets, mon cou se tend, mes oreilles se relèvent. Docteur Jivago ouvre rapidement la porte, jette un coup d'oeil dans la salle et s'adresse à moi :

" - Mademoiselle M. ?
- Ui ?
- C'est pour votre vaccin ?
- Ui !
- Venez, je vais vous faire ça en vitesse. "

Je ne me le fais pas dire deux fois et bondis littéralement de ma chaise. Je lance un pseudo sourire désolé au gluant toussoteur qui avait amorcé son décollage. Il faudra attendre un peu. Et, à côté de lui, encore plus désappointé, je vois le jeune homme décomposé. Désolée, j'allonge ses souffrances.

Sous les regards courroucés de l'assemblée, à deux doigts de me faire lapider avec le supplément cadeau de Mickey Magazine, je file vers la sortie. Un halo de lumière m'entoure (les néons du couloir en fait) et la délivrance est douce. Une chose est sure, même s'il va devoir me trucider le bras avec une seringue de 15 cm de long, je suis soudainement prise d'affection pour le Docteur Quinn (je sais, c'est une femme, mais c'est mieux que Docteur Jekyll non?). Et 10 minutes plus tard, un pansement Polly Pocket collé à mon épaule, j'écrirai sur la ligne du bénéficiaire du chèque : Dieu .

Amen.