Le monde de Juju

17 mai 2006

Il était une fois ... ceux qui dansaient par deux


Me voici à l'aube de ma prochaine vie. Venez donc vous joindre à moi, les soirées en solitaire ne sont plus de mon âge, cela fait bien lontemps que la solitude ne fait plus résonner entre mes murs que le silence des absents. Asseyez-vous donc face à moi, dans ce fauteuil usé par l'amitié, et laissez-moi vous conter quelque chose que vous ne connaîtrez jamais.


Le temps d'ajuster mon monocle au creux d'une des vagues de vieillesse qui ondulent sous mes yeux, je me cale confortablement et je suis à vous. Voici donc votre visage. Qu'il est serein... L'histoire que je vais vous raconter est tout à fait authentique et concerne des jeunes personnes ayant à peu près votre âge. Les recherches éthnologiques que j'ai menées au cours de ma vie, et qui me valent aujourd'hui cette renommée indiscutable, ont offert à mon esprit plus d'enchantement qu'aucun livre de Grimm. Mais peut-être prendrez vous une tasse de thé? Et laissez moi vous conter...

Il existait un pays, il n'y a pas si lontemps que cela d'ailleurs, où ceux qui s'aimaient dansaient à deux. Je vois votre sourcil se lever, votre front lisse se crisper et votre bouche se faire boudeuse. Croyez-moi. Ils dansaient à deux. Coutume on ne peut plus étonnante me direz-vous. Comme je vous comprends. Il m'a moi même fallu bien du temps pour accepter cette conception de la vie que j'avais, sous forme de souvenirs oubliés, là sous mes yeux.

Les jeunes gens avaient pour curieuse habitude ce qu'on appelait alors "la cour". Tout d'abord le jeune homme croisait le regard d'une jolie enfant. Il en tombait fou amoureux. La coutume de l'époque ne lui permettait pas d'aller directement la voir et lui proposer une nuit d'amour. Loin de là. Longtemps il la regardait, admirait ses cheveux bouclés, retenait chaque molécule de son parfum au plus profond de son coeur et rêvait de ses chevilles blanches.

Un jour cependant, poussé par la force de cet amour encore secret, il se présentait à ses parents. Dans ce pays, les enfants étaient élevés par les parents qui leur inculquaient ce qu'ils appelaient "éducation". On pense pouvoir dire aujourd'hui que la notion d'école n'existait pas. Sinon à quoi bon?... Il était important pour le jeune épris de montrer patte blanche et d'être en bons termes avec les parents, et notamment le père (considéré alors comme "chef" de famille) avant d'accéder au coeur de la demoiselle.

Si cette rencontre se passait bien, et dans ce cas seulement, le jeune homme pouvait commencer sa "cour". Le rituel parental est, je le vois à votre visage, bien étrange en effet, mais peut-être le père devait-il se rassurer en trouvant à sa fille chérie un homme qui lui ressemblait. Non pas à la fille, ne soyez pas idéaliste, mais à lui-même, ou plutôt ce qu'il pensait être. Pardon où en étions-nous? Ah oui, la cour...

Le jeune homme arrachait des plantes afin de les offrir à sa bien aimée. Celle-ci, énervée par un geste si peu écologique, faisait rougir ses joues pour lui montrer sa colère. Elle acceptait cependant l'herbe colorée, par politesse, mais punissait le jeune homme d'un baiser sur la joue. Humilié, il baissait la tête et se dandinait bizarrement. Pendant des semaines, les deux jeunes gens se fréquentaient. Ils allaient se promener, se tenant parfois la main lorsqu'ils étaient seuls. Ce rituel consistait certainement à empêcher l'autre de fuir ou à pouvoir se retenir en cas de chute. On appelait cela "se reposer sur l'autre".

Et puis un soir il l'emmenait au "bal". Il s'agissait d'une réunion de la communauté visant certainement à présenter son reposoir amoureux aux autres. Et le couple dansait. L'un contre l'autre. Je vois votre regard sceptique. Cette coutume complétement inutile est assez unique. Aucune peuplade qu'il m'ait été donné d'étudier ne présentait cet us. Le jeune homme serrait l'objet de sa convoitise contre lui, assez près pour se tenir chaud, mais pas trop afin de ne pas énerver le père qui a placé en lui une confiance... retenue. Leurs doigts s'enlaçaient, ils regardaient les lobes occulaires de l'autre, pensivement, sans mot dire, et se balançaient, de gauche à droite, langoureusement.

Lorsque la musique ralentissait, le couple se dandinait plus lentement, tel un métronome amoureux. On suppose d'ailleurs que le monument métallique étrange qui trônait dans leur capitale était un hommage au métronome, nous ne voyons pas d'autre explication à cet édifice insolite. Et ils restaient là des heures, tangant au rythme de leurs envies, occultant le monde qui les entourait.

Un peu plus tard, l'homme partirait à la "guerre", concept étrange où des hommes créaient des machines avec lesquelles ils détruisaient les terres qu'ils voulaient leurs. Ils y gagnaient un territoire détruit, sur lequel ils ne pouvaient habiter, sujets d'une communauté appauvrie. Ils cherchaient sûrement une forme d'Eden, ce qui leur procurait une insatisfaction latente les amenant à conquérir d'autres territoires. La jeune fille souvent l'attendait, patiemment. Mais le jeune homme ne reviendra pas, hâpé par sa mission, ses ennemis ou les globes occulaires d'une autre.

Mais contre leur ventre ils gardaient à jamais la chaleur de la danse à deux. Lorsque la mémoire leur faisait défaut, le corps réchauffé n'oubliait pas. La jeune fille pleurait beaucoup, jusqu'à ce qu'une larme coule à son nombril, et refroidisse ce creux de souvenirs.

Je vois votre visage songeur. Si je vous parle ce soir de cette coutume perdue depuis bien longtemps, ce n'est absolument pas pour aiguiser votre curiosité et faire de ce rite un phénomène étrange. Je voulais juste ne pas être la dernière à savoir qu'un jour, quelque part, des amoureux se sont accollés et ont su se réchauffer avec l'innocence de la pudeur. Ils ont su prendre le temps de se mouvoir comme un métronome, oubliant les secondes que leurs pas dessinaient sur le sol.

Je ne crois pas avoir un jour été aussi touchée que par cette découverte. Peut-être aurions-nous énormément à apprendre de ces peuples défunts. A commencer par l'abandon de soi sur quelques notes...

3 Comments:

Blogger Juju said...

Dansoooooooons... Joue contre jouuuuuuue...

Hum quand je me mets à chanter c'est mauvais signe :-P

08:02  
Anonymous Anonyme said...

"L'abandon de soi sur quelques notes" ?

Je propose :

Tada tadada tada
tada tadada tada

Bon c'est sûr, juste écrit c'est moins beau mais pourtant qu'est ce que ça serait bon.

23:00  
Blogger Juju said...

Je ne te savais pas musicien de talent!

Une minute de silence pour apprecier...

...
...
...
...
...

Merci!

11:09  

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